Bel abîme

Yamen Manai

Elyzad

  • Conseillé par (Libraire)
    2 octobre 2021

    Un roman plein de force, traversé par la violence et la colère

    Tunisie, banlieue de Tunis, aujourd’hui. Un adolescent nous raconte son quotidien, depuis l’enfance, à la maison, à l’école, dans la rue. Un enfant chétif, calme et doux, qui vit et grandit la peur au ventre, mais une vraie peur, infinie, permanente, celle provoquée par la violence quotidienne à la maison, à l’école, dans la rue, partout. Celle engendrée par les humiliations et vexations des plus forts, enfin, des plus violents, sur les plus faibles, enfin ceux pour qui être la terreur du quartier, voire du pays, n’est pas une fin en soi, la meilleure manière de sortir de toute cette violence et toute cette peur.

    Notre adolescent est de ceux-là. Alors il subit, toujours et encore, longe les murs, baisse la tête, contient très fort ses larmes, ses souffrances, ses envies de rébellion, ses rêves de départ. Et un jour, il croise Bella. Et Bella lui donnera la force de s’affranchir, de relever la tête, de vivre un pas de côté pour vivre mieux, vivre digne. Mais dans cette société si gangrénée par la violence, peut-on s’autoriser à être différent ?

    Yamen Manai nous livre ici un roman plein de force, traversé de part en part par la violence et la colère, que le lecteur vit et ressent en étant immergé dans les mots et la tête de cet adolescent révolté et blessé au-delà du tenable. Roman absolument émouvant par l’attachement que l’on porte aux deux personnages centraux, rageant par cette confrontation à toute cette bêtise et cette violence, qui n’engendre quoi ? Que désespoir… et violence.

    « (…) Pourquoi ils tuent les chiens ? Le maire, le président, les députés, les ministres, ils n’avaient donc que cela à foutre que de parlementer sur leur sort et de décréter de les tuer ? C’était donc pour cela que le peuple les avaient élus, qu’ils les avaient mandatés ? (…).
    (…) Les chiens dehors, pourquoi vous ordonner de les massacrer ? Ah les chiens errants (…) Pour que la rage ne se propage pas dans le peuple. Pour que la rage ne se propage pas dans le peuple ? Mais le peuple a déjà la rage, vous le saviez pas ? (…)».


  • Conseillé par
    21 octobre 2022

    Tunisie

    Un jeune tunisien se trouve dans les locaux de la police après avoir tiré sur son père.

    Petit à petit, nous découvrons ce qui l’a amené à perpétrer ce geste, tout en découvrant la société tunisienne de l’intérieur.

    Une société rongée par la violence, où les plus faibles se vengent sur les insectes.

    J’ai aimé l’humour qui se dégage parfois de ces pages, mais aussi le regard sans concession du narrateur sur son pays.

    J’ai aimé le leitmotiv de la main : un homme de main, lever la main sur son enfant.

    J’ai découvert des habitants Errahma-lé : sans pitié, alors que le Prophète est lui miséricordieux.

    J’ai aimé l’amour inconditionnel qu’il porte à Bella, celui qui lui a manqué à son frère et lui, son frère se réfugiant dans la nourriture.

    J’ai eu de la peine pour ce jeune homme bien trop lucide.

    Quelques citations :

    "A la vitesse à laquelle on y va (dans le mur), je ne crains pas pour le pays, je crains pour le mur". (p.19)

    "Je n’ai jamais reproché à mon père d’être un pauvre fils de pauvre, mais je lui en veux d’être un pauvre de coeur, de ne pas avoir compris où était la vraie richesse. Etre bon pour sa famille est plus important que la façade que l’on construit pour les autres et pour laquelle son propre sang subit la négligence, le désamour et la rancune". (p.80)

    L’image que je retiendrai :

    celle du jeune homme courant tous les matins avec son chien sur des kilomètres.

    https://alexmotamots.fr/bel-abime-yamen-manai/


  • Conseillé par
    14 juin 2022

    Ne lisez point trop autour de ce livre remarquable, courez l'acheter ou si vous l'avez déjà, ne traînez pas, lisez-le. 110 pages, ça va vite et c'est un long monologue du jeune homme qui attend un procès. Il parle à son avocat commis d'office et au psychiatre détaché par le tribunal. On ne sait pas trop au début les raisons de son enfermement, il les explique à ses deux visiteurs.

    Jeune homme en Tunisie post-révolution, il vit avec un père universitaire, fainéant, qui ne s'intéresse qu'à sa voiture et frappe sa femme et ses enfants. L'archétype de l'homme autoritaire tel que la société tunisienne en produit, qui doit se faire servir et respecter dans sa maison. Il livre ses réflexions, son amour de la lecture qui l'a sauvé, lui permet de vivre malgré la violence : "Des gens qui savent lire au pays, il y en a à la pelle, mais que lisent-ils, dites-moi ? Que dalle, pour l'écrasante majorité. Elle est fâchée avec les livres, il faut se l'avouer. Vous connaissez ce proverbe ? La parole de nos ancêtres ? Elli kraw métou : ceux qui ont lu sont morts eux-aussi. Oh, mes aïeux ! Lire ne donne pas de pouvoir, lire ne sauve pas ? Cela ne fait aucune différence, on finit toujours les deux pieds devant ? Ok, lire ne rend pas immortel, je vous l'accorde, mais ça rend moins con, et ça, c'est déjà beaucoup." (p.20)

    Puis sa réflexion s'étend à la société tunisienne, qui, malgré la révolution, ne satisfait ni ne permet aux Tunisiens de s'épanouir : "On a quand même gagné la démocratie ? La belle affaire ! Avant, on avait la peste, maintenant, on a le choix entre la peste et le choléra. Avant, on avait les quarante voleurs, maintenant on en a quarante mille." (p.69). Lucide et amer, il sait qu'il n'a rien à espérer de son pays ni des autres, sauf de Bella qui le tient debout.

    C'est un court roman, fort, direct, comme si nous étions avec le jeune détenu et qu'il nous exposait ses pensées et son histoire. Très bien écrit, il se lit assez vite, même s'il vaut mieux prendre son temps, pour rester dans l'ambiance et avec le narrateur que l'aon aimerait avoir rencontré dans d'autres circonstances.